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Channel: La bande des vins » macération pelliculaire
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Roche liquide

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«J’étais un marchand de vins. J’ai observé la montée en force des vins du Nouveau-monde, des vins tellement compotés. Au fil du temps j’ai fini par devenir un anti-vins du Nouveau-monde. Je ne voulais plus goûter de fruit dans le vin. Je voulais boire de la roche liquide.»

L’auteur de ces paroles, Frank Cornelissen, est probablement un des vignerons dont le travail s’apparente le plus à un sport extrême.

Lorsqu’il en a eu assez des vins surboisés de Napa ou de Bordeaux, il s’est lancé dans une quête aux antipodes. Il a décidé de devenir vigneron. De façon tout à fait autodidacte. Dans une terre où pèsent pourtant lourd les traditions.

C’est sur les flancs de l’Etna, le grand volcan sicilien, qu’il a changé de vie.

«J’y fais plus du jardinage que de l’agriculture», a-t-il raconté lors d’une visite à Montréal l’hiver dernier.

Puriste, il rejette littéralement toutes les méthodes de culture même les plus propres. Bio? Biodynamique? Peu pour lui, parce que ces façons de cultiver la terre supposent que l’être humain sait la dompter. Parce que même si ces méthodes interdisent l’ajout d’intrant chimiques dans la vigne, elles permettent le labour des sols, l’utilisation de composts, qui sont pour lui des interventions humaines qui prétendent comprendre la nature. Lui, il observe la nature faire, c’est à peu près tout.

Une façon de faire controversée. Même lors de son passage, lors de la rencontre entre journalistes et sommeliers organisée par son importateur au Québec, Glou, Cornelissen s’est fait challenger par des dégustateurs au palais plus classique, perplexes devant sa méthode, qui ne repose sur aucun enseignement traditionnel de la culture de la vigne. Mais le vigneron se fiche bien de ce que pensent les autres.

«Je ne suis pas un architecte du vin. Ma prétention est que mon vin représente plus un lieu, l’Etna, que qu’un cépage ou moi même», a-t-il répliqué.

Les vins de Cornelissen ne sont jamais boisés. Souvent élevés en amphores de terre cuite enfouies dans le sol. Ils sont faits de cépages autochtones comme le nerelo mascalese pour les rouges, et les carricante et grecanico dorato en blanc. Souvent issus de vignes franches de pied, parfois très vieilles, sur des parcelles de terre toujours plus en altitude sur le volcan. Ils ne sont pas souffrés du tout. Ils ne laissent jamais indifférent. Certains les trouveront carrément déviants, alors que d’autres raffoleront. Parce qu’il ne ressemblent à aucun autre vin et représentent une autre idée du vin que celle à laquelle nous sommes habitués.

Tous les vins sont disponibles en importation privée seulement, en caisses de six bouteilles, auprès de l’agence Glou. La plupart des tables amies des vins natures en ont sur leur carte des vins. Il n’y en a pas toujours de disponible, mais on peut le réserver en vue des arrivages futurs. Ce sont des vins qui méritent d’être attendus. Ils ne sont pas donnés, mais vu le faible volume de production, les risques pris par le vigneron, l’expérience qu’ils vous feront vivre, ce n’est pas scandaleux.

En voici un aperçu. Les prix varient légèrement selon les millésimes, ceux que je vous donne sont ceux des derniers arrivages pour chaque produit.

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Munjebel bianco, IGT Terre Siciliane 2013, 54,47$

Cépages : grecanico dorato (60%) et caricante (40%)

C’est le plus déroutant des vins de Cornelissen. Un blanc, produit comme un rouge. C’est à dire que les raisins macèrent avec leur peau, ce qu’on appelle la macération pelliculaire. En général, les blancs sont issus de raisins pressés et dont le jus sera séparé de la peau. Ce qui en fait des vins exempts de tannins. Mais les blancs comme celui-ci, que l’on qualifie de vins oranges, présentent cette structure tannique. Il faut le boire presqu’à la température d’un rouge. De ce verre empli d’un liquide de couleur jaune foncé opaque (il ne faut pas avoir peur des vins à l’aspect un peu trouble), se dégagent des parfums de fleurs, de limoncello, de miel, et de thé rooibos. La bouche présente des saveurs de ketchup vert maison, de sel, avec une minéralité intense et une acidité bien appuyée. Comme je le disais, on y perçoit des tanins. Je l’ai bu sur une pièce de flétan rôti au cari jaune, toute simple. C’était parfait, mais je n’hésiterais pas à le mesurer à de belles pièces de veau ou de porc, pas trop assaisonnées.

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Rosso de Contadino, IGT Terre Siciliane 2013, 30,66$

Cépage : nerello mascalese (90%) et alicante bouschet (10%)

Ce vin résulte d’un field blend, comme on dit en bon français. Ce qui veut dire que les deux variétés poussent entremêlées dans le champ et que l’on vendange tout en même temps. Selon qu’une année aura été plus fructueuse pour l’un ou l’autre, les proportions varieront de quelques points de pourcentage. C’est le vin de soif et de plaisir de Frank. Ça sent la fraise sauvage, la menthe, la rhubarbe. Grande tension minérale en bouche, ça goute les herbes, un fruité acidulé qui se fait discret. Du bonheur pur.

Munjebel, IGT Terre Siciliane 2013, 51, 59$

Cépage : nerello mascalese

Au nez, c’est de la canneberge, pure, acidulée, vive. La bouche est toute en tension et d’une acidité presque mordante. Un fruit délicat, tendre, et une minéralité intense, riche. Cornelissen le croit capable de gagner en complexité pendant le cinq à six premières années en bouteille.

Munjebel CS, IGT Terre Siciliane 2013, 60,38$

Cépage : nerello mascalese

CS pour Chiusa Spagnolo, ou le clos espagnol. C’est une des trois cuvées parcelaires de la gamme Munjebel. Le nez est sur la figue, la prune et le vinaire balsamique. Probablement la cuvée la plus fruitée, très épicée, avec des tanins serrés et une certaine salinité. On note un petit côté de réduction également. Tout en étant comme tous les vins de la gamme d’une intense minéralité. Un vin dense, puissant, mais élégant. La cuvée 2012 s’est aussi montrée plus fruitée que les autres, quoique plus tannique et un brin plus austère. Lui est pour la grande garde.

Munjebel VA, IGT Terre Siciliane 2013, 60,38$

Cépage : nerello mascalese

Un nez de poussière de pierre qui libère, à l’aération, du fruit noir épicé. En bouche, délicat, frais, minéral, pur. Grande classe.

Magma 9, IGT Terre Siciliane 2011, 240$

Cépage : nerello mascalese

C’est le vin dément de la famille. Issu de parcelles de vigne en hauteur sur la montagne, poussant directement dans la roche volcanique, d’où sont nom. Il titre un tonitruant 15% d’alcool qui ne se ressent en aucun temps en bouche tant elle est équilibrée. C’est là une autre des raisons pour laquelle Cornelissen travaille à contre courant. «Je n’aime pas cette tendance chez des vignerons du sud à essayer de faire des vins  à moins de 12%. Moi, je veux que mon raisin atteigne une grande maturité phénolique. Je suis toujours dans les derniers à récolter. J’ai toujours plus de sucre que mes voisins», explique-t-il, ajoutant que certains de ses vins atteignent parfois 17% d’alcool. Mais on n’en ressent rien dans le Magma. Oui, c’est puissant, ça goute la prune, les herbes et les notes fumées (la pierre volcanique!). Mais tout en étant concentré, c’est aérien et très équilibré, et d’une longueur infinie en bouche. Vraiment hors norme.


 

Vous venez (probablement) de lire la dernière chronique de la Bande des vins. Comme vous l’avez constaté, les textes se sont espacés ces derniers mois, faute de temps. Le site aurait besoin d’être retapé et mis au goût du jour, ce que je n’ai pas le temps de faire. Mais j’ai eu un plaisir fou à écrire ici, et bien avant, lorsque nous logions sur Rue Frontenac. C’est exactement pour parler de vignerons comme Cornelissen et autres personnages fascinants qui dévient des chemins habituels du vin, et surtout ne pas bêtement faire le récit des arrivages de la semaine en SAQ, que j’ai aimé tenir cette chronique. Le site restera en ligne pour un temps. Peut-être sera-t-il rénové et relancé un jour! Merci de m’avoir lu! – David Santerre



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